L’élevage de porcs en plein air a des spécificités concernant l’alimentation, le naissage et l’élevage des jeunes. Par ailleurs, on n’imagine pas toujours que cette espèce a une réelle capacité à valoriser les fourrages, qui peuvent représenter 15 à 20 % de la ration. Hugues et Jennifer Moly nous font partager leur expérience de cette production et de la gestion du pâturage de leurs troupeaux.

 Exploitation de Hugues et Jennifer Moly – © GAB – FRAB AuRA

 

Hugues et Jennifer Moly, élèvent des porcins et des bovins allaitants : 20 truies reproductrices, 2 verrats, 450 porcelets par an (dont 200 sont engraissés sur la ferme) et 25 vaches allaitantes et leur suite (chaque femelle fait au moins 1 veau et les mâles castrés sont engraissés jusqu’à 30 mois). Avec 20 ha de céréales et protéagineux et 150 ha de prairies artificielles et permanentes, la ferme est autonome en fourrages et à un peu plus de 20 % en céréales.

LA GESTION DES PARCS ET DES LOTS

Jennifer nous explique son système de pâturage :

« J’ai différents types de parcs : des parcs pour truies gestantes (2 lots de truies, avec un verrat par parc), des parcs de naissage où les porcelets passent 2 mois avec les truies (1 mois seuls avec leur mère et un mois regroupés avec deux autres truies et leurs porcelets), des parcs d’engraissement où les porcs passent 4 mois et un parc d’attente où je les prélève petit à petit en fonction de la demande (cf. figure 1). »

Figure 1 : Les trois types de parcs où pâturent les porcs

« Il y a un intérêt à maintenir des couverts végétaux de qualité dans les parcs des porcins. Cela nécessite une rotation adaptée : un temps de présence des porcins, un temps de repousse, et un temps de pâturage de bovins en fonction de l’herbe. Il arrive aussi que je fasse pâturer porcins et bovins en même temps sur une même parcelle. La cohabitation ne pose pas de problème (cf. figure 2). »

« Au niveau du chargement instantané, je mets des lots de 2 à 3 bandes d’au moins 30 porcelets (constitués dès le deuxième mois passé dans le parc de naissage) dans des parcs d’engraissement de 1 à 2 ha, pendant 4 mois, la condition étant que les terres se reposent ensuite. En effet, sur deux ans de rotation, les parcelles ne sont pas exploitées par les porcs aux mêmes périodes de l’année et elles ne sont occupées que 50 % du temps. Les parcelles ont ainsi 4 mois de « repos » pour les parcs d’engraissement et 2 mois pour les parcs de naissage. »

« Quant aux truies, 20 truies tournent sur 4 ha, ce qui représente 2 000 m²/truie, avec environ 1 000 m²/truie de chargement instantané. Pour avoir une bonne gestion pastorale, il faudrait qu’elles tournent sur 6 ha (3 000 m²/truie), toujours avec un chargement instantané de 1 000 m²/truie, ce qui permettrait de régénérer davantage les prairies. Sans oublier que suivant le potentiel des sols et le couvert, le besoin en surface peut varier. »

Figure 2 : La gestion d’un parc d’engraissement

« Les bandes restent quatre mois à l’engraissement. Sur une même parcelle, les porcs ne sont présents que la moitié du temps et la prairie est « pâturée » par les porcs à des moments différents d’une année sur l’autre, ce qui permet de maintenir l’enherbement. »

Surface : 1 ha, pour environ 30 porcs

QUELS SONT LES AVANTAGES DE CE SYSTÈME ?

« L’élevage des porcs a un effet positif sur la productivité de mes prairies et cultures, contrairement à ce que l’on pourrait penser. Lorsque j’ai introduit l’élevage de porcs sur ma ferme, j’ai pu garder le même nombre de vaches allaitantes. Ils améliorent la productivité des prairies et des céréales en les retournant et en les fertilisant. Je réalise 30 % de journées de pâturage de plus sur les prairies où sont les porcs. J’ai fait l’essai d’implanter un méteil (triticale-pois) sur une parcelle qui n’avait été pâturée qu’à moitié par les cochons. La partie qui n’avait pas eu de cochons a fait 20 q/ha alors que la seconde, pâturée, a obtenu 40 q/ha. J’estime qu’une année de pâture par les cochons équivaut en termes de restitution à un précédent de 2 ans de luzerne. Le pâturage par les porcs peut aussi être un bon moyen de préparer la mise en place d’une culture en éliminant les rumex et autres vivaces, dont les cochons mangent les racines.

Si en 2014, j’ai réussi à maintenir la production de fourrages pour mes vaches et à rester assez autonome, j’ai un peu délaissé la gestion des prairies et fait quelques erreurs. Je peux vous citer par exemple : élever une bande de cochettes pendant un an sur la même parcelle, faire pâturer les truies dans des parcs insuffisamment enherbés, et enfin ne pas avoir changé de parcs d’engraissement depuis plusieurs années. Mais la nature est là pour nous rappeler les fondamentaux ! Cette mauvaise gestion a fait monter la pression parasitaire, mes porcs ont attrapé des ascaris, et la production de porcelets a rapidement baissé. J’ai dû déparasiter tout le cheptel. Cela me confirme qu’il est important de se concentrer sur la pousse de l’herbe, la rotation et le maintien des prairies en état.

Aujourd’hui, j’adapte donc mes rotations et ma technique de pâturage. Je pense que les principaux critères à prendre en compte pour gérer la rotation et les prairies sont les suivants :

  • pour limiter la pression parasitaire, un parc peut recevoir des cochons deux années de suite à condition qu’ils n’y pâturent pas en permanence ;
  • après ces deux années de pâturage sur une même parcelle, il faut la mettre en culture ou en prairie pendant au minimum 2 ans et idéalement au moins 4 ans. Cela veut dire que les parcs à cochons doivent être intégrés à la rotation et changer de place régulièrement (figure 3) ;
  • pour maintenir la prairie en état, les porcs doivent pâturer de manière discontinue, mais il faut aussi alterner la période de pâturage d’une année sur l’autre. Sinon on sélectionne la flore et la prairie se dégrade très vite. »

Figure 3 : La place des parcs à cochons dans la rotation chez Hugues et Jennifer Moly
(rotation mise en place en 2015)

L’ALIMENTATION

« Les truies et les verrats mangent au cornadis, il y a des barrières entre chaque animal pour éviter toute concurrence. Les cornadis sont montés sur un chariot mobile pour faciliter les rotations. Je fais trois aliments différents : un à 18-19 % de MAT pour les porcelets et les truies allaitantes, un à 17 % de MAT pour l’engraissement et un à 14-15 % de MAT pour les gestantes.

Les aliments sont fabriqués avec les céréales de la ferme : triticale-pois, féverole, orge, blé, graines de soja, et des tourteaux (8 % de l’aliment). Le maïs n’est pas utilisé pour alimenter les porcs car il dégrade trop l’autonomie en protéines de la ferme. Je privilégie des rations riches en protéines qui permettent d’obtenir des porcs plus âgés (c’est-à-dire jusqu’à 8-9 mois) sans gras.

Au printemps, lorsqu’il y a une bonne pousse d’herbe, je peux réduire la ration (aliment fabriqué à la ferme, à base de céréales, protéagineux, tourteaux, son…) : la consommation des truies et des porcs diminue ainsi de 500 g (passant de 3 Kg à 2,5 Kg par jour). L’hiver, les truies ont du foin en plus. Elles consomment une balle ronde de 200 Kg toutes les deux semaines, soit environ 1 Kg/truie/jour, elles continuent à valoriser du ligneux. »

On peut noter que d’autres stratégies sont possibles pour les aliments (cf. figure 4) :
– un aliment à 18 % de MAT pour les porcelets et les porcs en croissance
– un aliment à 15,5 % de MAT pour les truies en lactation et les porcs en finition
– un aliment à 14 % de MAT pour les truies en gestation.

Figure 4 : Plages de variations possibles des caractéristiques nutritionnelles des aliments

LE NAISSAGE ET L’ÉLEVAGE DES PORCELETS

« J’ai des niches de 2m20 x 1m90 et de 1m50 de haut, qui ont une base plus large que le toit. Ainsi les parois sont obliques ce qui permet aux porcelets de s’échapper lorsque la truie se couche. Les niches sont simples, bien isolées, et c’est un modèle que l’on peut facilement construire soi-même. Lors des mises-bas, moins j’interviens, mieux cela se passe. Je ne rentre jamais dans les cabanes car cela stresse la truie, elle bouge, et risque d’écraser des porcelets. Je paille beaucoup afin que la truie fasse un nid et pour limiter le risque d’écrasement. La sélection des mères est également très importante pour éviter les pertes : certaines rassemblent leurs porcelets devant elles avant de se coucher, elles n’en écrasent pas, alors que d’autres sont bien moins maternelles et ne prennent pas ces précautions.

Je castre les porcelets à 8 jours en utilisant une bombe de froid, toujours loin des mères pour qu’elles n’entendent pas leurs petits. Sur les 450 porcelets, 250 sont vendus à 8 semaines (soit à un poids d’environ 22 à 25 Kg) auprès d’éleveurs qui ont de petits ateliers engraisseurs, en élevage secondaire. Les 200 porcelets restants sont engraissés jusqu’à 7 mois, voire 8-9 mois. En moyenne, je fais abattre 4 porcs par semaine, qui sont transformé.

Trois bandes de porcelets sont regroupées, ce qui représente des lots de 30 à 35 porcs à l’engraissement. Je ne mélange jamais des bandes de porcelets qui n’ont pas grandi ensemble en parc de naissage afin d’éviter qu’ils se battent. Lorsque tout se passe bien, entre 18 et 20 porcelets sont sevrés par truie et par an (soit deux portées de 9 ou 10). Pour augmenter ce nombre, je me rends compte que je dois renouveler régulièrement mon cheptel de truies : au-delà de 3 ans, la prolificité baisse trop. Suivant le cahier des charges de l’agriculture biologique, je ne pourrais introduire que 4 coches conventionnelles par an (20 % de mon cheptel). Je produis donc désormais des cochettes pour la reproduction afin de maintenir un cheptel plus jeune. »

LA GESTION DE LA SANTÉ

« Chez moi, c’est assez simple : lorsque mes porcs rencontrent des problèmes de santé, je leur fais une cure de chlorure de magnésium. Je mets 2 g/litre dans leur eau de boisson pendant une semaine. Mon lot qui semblait en mauvaise santé a ainsi récupéré une peau parfaitement rose et souple et une bonne vigueur. Je ne rencontre pas de pathologie avec l’élevage en plein air, exceptée l’infestation parasitaire citée précédemment, qui ne devrait plus arriver avec la nouvelle rotation. »